Atelier AVO : rencontre avec une chapelière conteuse d’histoires

Avec le temps, le chapeau est devenu un de ces objets de mode banalisés, décorrélés de la notion de savoir-faire. La chapellerie peut pourtant bel et bien être un art, le chapeau une œuvre et l’artisan un artiste. C’est du moins ce que nous prouve Sofia Caldas, la créatrice Portugaise à l’origine d’Avo Atelier.

Diplômée en Arts de l’École Supérieure d’Arts et Design de Caldas da Rainha, Sofia se destinait à la sculpture. C’est cette approche et ces techniques de plasticienne qui apportent aujourd’hui un regard unique et artistique à ses créations. Comme de nombreux artistes, les œuvres de Sofia portent un véritable propos ; ici fondamentalement narratif et humain. Les pièces Avo Atelier sont en effet des histoires à porter. Travaillant à la commande, Sofia débute chaque nouvelle pièce par un échange avec son client qui lui permettra d’établir le récit souvent touchant qu’elle illustrera à travers chaque pièce.

Située à l’Ouest de Lisbonne, nous sommes allés la rencontrer dans son atelier. Un lieu qu’elle partage avec l’entreprise de tailleurs de pierres de son compagnon. Un lieu emprunt d’une douce poésie où le temps semble s’être arrêté et où les rayons de lumière se dévoilent au gré de la poussière de pierre qui danse dans l’air.

C.L. : A l’origine, tu te destinais à la sculpture et à l’art. Comment en es-tu arrivée à faire des chapeaux ?

S.C. : À la fin de mes études, j’ai d’abord travaillé comme scénographe à Lisbonne, avant de rejoindre un atelier-boutique de chapeaux où je suis restée quelques années. On ne fabriquait pas de chapeaux en feutre à la boutique. Ils arrivaient déjà pré-fabriquées et nous les décorions seulement avec des rubans et des accessoires. Le cœur de notre métier était le chapeau et l’accessoire de cérémonie. Nous n'utilisons pas de feutre pour ces pièces, mais le procédé de fabrication était similaire. J’ai beaucoup appris durant cette période.

En 2018, j’ai fini par quitter la boutique pour me consacrer de nouveau à l’art, notamment en expérimentant avec différents matériaux et en créant des pièces artistiques. De mon temps passé à la boutique, je gardais tout de même l’envie de réaliser un chapeau en feutre de zéro : du cône à l’objet final. J’ai progressivement commencé à expérimenter cette matière et j’ai réalisé son incroyable plasticité. J’en suis tombée amoureuse ! J’ai alors fait une courte formation et je ne me suis plus jamais arrêtée depuis.

C.L. : En quoi dirais-tu que ta formation de plasticienne influence ton travail aujourd’hui ?

S.C. : Ma formation en Arts Plastiques m’a apporté un raisonnement artistique, ainsi que la volonté d’explorer et de déconstruire l’objet en regardant au delà de son utilité fonctionnelle limitante. Je dirais que mon parcours artistique me permet d’avoir un message que j’exprime à travers la matière, et de traiter le feutre comme mon médium.

C.L. : Tu m’expliquais qu’AVO est un clin d’oeil à ton grand-père. Peux-tu nous expliquer d’où vient ce nom ?

S.C. : AVO vient du mot Portuguais avô qui signifie « grand-père ». Durant de nombreuses années, j’ai regardé mon grand-père sortir de la maison avec un chapeau, et selon le chapeau qu’il portait, je pouvais deviner où il allait : le chapeau de paille à bords larges pour le jardin ; le vieux feutre quand il n’allait pas très loin ; le feutre noir pour le dimanche et les occasions particulières…

Il les attrapait par la couronne (la partie haute du chapeau) à l’aide de son index et de son pouce. Il ne savait pas que ça ne s’attrape pas comme ça, et je n’ai pas l’occasion de le prévenir. En effet, ce geste les déforme et aujourd’hui encore, ses chapeaux portent la marque de ses doigts. Ce simple geste qui déformait ses chapeaux me permet de garder une trace de lui avec moi.

AVO est un hommage à mon grand-père et à ses chapeaux.

C.L. : Tu dois commencer chaque pièce par une conversation avec ton client. Peux-tu nous expliquer ton processus créatif ?

S.C. : La marque est née de cette envie de repenser l’objet, mais également de penser le monde, la vie et les gens à travers le chapeau ; en créant des pièces artistiques qui soient uniques et personnelles. Je souhaitais confectionner des pièces qui racontent des histoires.

Afin de créer un chapeau sur mesure, je demande généralement aux personnes de me parler d’elles-mêmes, de leurs souvenirs, de leurs centres d’intérêts… Parfois lors de nos échanges, nous abordons des sujets dont elles n’ont pas parlé depuis très longtemps. J’aime aussi en savoir plus sur leurs goûts musicaux, et écouter la musique qu’elles aiment lorsque je confectionne leur pièce. Après nos échanges, je prends souvent quelques jours pour réfléchir à ce que nous nous sommes dit, afin de me sentir réellement connecter à la personne. Je lui présente ensuite mes idées, nous faisons quelques ajustements si besoin, et puis je commence la fabrication. Je lui envoie aussi toujours des photos du processus afin qu’elle se sente réellement investie dans ce projet.

C.L. : Y-a-t-il une histoire d’un de tes clients qui t’a particulièrement touchée et que tu as eu l’occasion d’illustrer à travers un chapeau ?

S.C. : Il y a un chapeau en effet, qu’un client m’avait commandé pour offrir à sa femme. Elle était en phase de rémission d’un cancer et il voulait lui offrir un chapeau qui raconterait toutes les épreuves qu’ils avaient traversées ensemble. J’ai senti une grande responsabilité. Je me suis totalement donnée afin de lui confectionner la plus belle des surprises.

La plupart du temps, les gens pleurent lorsqu’ils reçoivent leur chapeau, et quand cela arrive, alors je sais que j’ai bien fait mon travail. Les larmes viennent toujours du cœur et c’est ce que je cherche à toucher.

C.L. : Y-a-t-il un chapeau que tu rêverais de confectionner ?

S.C. : J’ai plusieurs idées ! Il y en a notamment une que je garde secrète et que je présenterai prochainement. Mais comme je travaille seule, je suis obligée de bien gérer mon temps entre mes créations personnelles et les commandes qui me sont passées.

J’aimerais aussi beaucoup faire des chapeaux pour des artistes que j’admire, ou bien travailler avec des créateurs tels que Philip Treacy.

C.L. : Tu travailles dans un lieu atypique et magique. Peux-tu nous en dire plus ? En quoi ce lieu t’inspire-t-il ?

S.C. : On me trouve effectivement dans un lieu inattendu, au milieu d’un atelier qui travaille et taille la pierre. Je suis entourée de larges blocs de pierres, de machines et de grands draps blancs qui recouvrent le tout. La lumière m’inspire beaucoup ici, tout comme la pierre et les cristaux qui la reflètent partout. Mon studio contraste avec cet environnement car il ressemble un peu à l’univers d’Alice aux Pays des Merveilles. C’est un lieu rempli d’objets qui me sont chers. J’aime beaucoup travailler ici ! Et j’adore voir la surprise sur la tête des gens quand ils arrivent sur place ! [rire]

Cécile Larher — The Cecilium

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À la rencontre de Lucie Sassiat, Photographe.